Handicap – La maladie évolutive et invalidante est humiliante pour celui qui la porte ; c’est un fardeau que personne n’est en mesure d’alléger. Presque chaque jour, un poids nouveau s’ajoute à la masse de difficultés accumulées depuis des lustres, à cause d’un muscle qui faiblit soudainement ou qui lâche comme un élastique usé, à cause d’un mouvement qui refuse de s’accomplir sous les ordres du cerveau. Même si, au fond de soi, on ne se sent pas ridicule, on en a vraiment l’air aux yeux des autres, tassés que nous sommes, sur notre fauteuil roulant et voués au rythme lent qui nous caractérise. À la longue, nous finissons par baver lors des repas, nous laissons tomber notre cuiller, nous peinons à porter à la bouche une fourchette emplie de purée – avec des petits pois, c’est pis encore mais tout le monde se marre ; nous avons mal au dos, aux épaules, aux mains, lesquelles lâchent objets et papiers que nous ne pouvons pas ramasser ; nous sommes victimes d’insomnies et de fatigues insidieuses, etc. La liste est très longue, des complications rencontrées. On nous regarde d’un œil torve, car un fragment d’aliment vient de se loger entre deux lames de parquet, ou tache la netteté du carrelage, nettoyé le matin même. Pour les handicapés lucides mais gênés, c’est la consternation, la détresse, l’épouvante, ils sont souvent pris d’une panique irraisonnée qu’ils montrent rarement ; d’autres, plus désinvoltes, s’en amusent en provoquant un peu les grincheux. Quand un changement intervient dans la vie quotidienne, en général les angoisses crispantes apparaissent. Par exemple, quand l’évolution de la maladie s’accentue, la crainte de l’immobilité plonge le malade dans une anxiété brûlante, pathologique. Les bouleversements matériels et les modifications indispensables mais brutales de l’environnement changent la vision que les handicapés en ont, et ils parviennent avec peine à assimiler les mutations. La maladie grave, comme la vieillesse, est un naufrage, une capitulation de la vie et, par conséquent, la prise de pouvoir de la mort, même si celle-ci n’intervient pas de suite, laissant opérer ses collaboratrices : la souffrance, la décrépitude, la détresse et la déchéance. La vie possède ainsi le génie suprême de produire de multiples tares de différentes natures, qu’elle ne peut guérir.
Amicalement, chers rares lecteurs. Étienne.