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  • : le blog aquapomu
  • : Mon but est de donner à lire des poèmes personnels, ou d'autres auteurs parfois ; des nouvelles, des notes sur le vocabulaire, la poésie, etc. Il s'agit d'un blog littéraire, en réalité.
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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 16:49

~~Un poète nous a quittés en novembre, il y a donc quelques semaines. Il est toujours triste de perdre l’un des siens. J’ai dû rencontrer deux ou trois fois son nom dans des revues, et, n’ayant jamais eu affaire à lui, on ne pourra pas m’accuser d’avoir une quelconque animosité envers sa personne. Mon propos concerne la poésie et n’a d’autre but que de me dresser contre des textes faciles, afin que l’écriture demeure une discipline digne et noble. Je connaissais donc à peine ce poète lorsque j’ai reçu par la messagerie l’un de ses poèmes, daté de 1955, et quelques informations sur sa vie. L’une d’elles expliquait que Bernard Heidsieck était un poète « essentiel » du 20e siècle, un maître de la « poésie sonore ». Très bien ! La lecture du dit poème m’a cependant laissé pantois. En voici quelques vers : « Si vite qui bat si fort / se singe à mort sa métrique / De soi de calcul s’emmaillote / Petits pas / Les yeux clos s’encalcule / Pas à pas en rond t’articule / Pouce à pouce / Fil à fil / Se tresse te trame et te coud / Aïe Dieu sait comme / Comme de juste / Comme il faut / je tu il », etc. Il me semble que ce genre de « poème » entre davantage dans le domaine de la psychiatrie que dans celui de la poésie. Je m’explique. Selon moi – et sans doute selon beaucoup d’autres écrivains et poètes – un poème doit avoir du sens, exprimer une pensée, expliquer, décrire, traduire un sentiment, construire un imaginaire. S’il falsifie et déforme le langage, s’il n’exprime rien, il n’appartient pas au domaine de la poésie. La valeur intrinsèque d’un mot est absolue. Les mots posés sur la page l’un après l’autre ont chacun leur propre sens, leur propre limite, leur image personnelle. Les relier entre eux par des valeurs communes sur l’échelle du sens s’appelle « écrire ».Leur donner un sens collectif est donc le devoir de tout locuteur. Si ce principe n’est pas respecté, la phrase – ou le vers – devient incompréhensible. Le texte s’abolit lui-même, le livre s’interdit toute vie. Comment montrer aux enfants, et même aux adultes, que le poème dont je vous ai copié un extrait dépend de la langue française, alors qu’il la fuit, qu’il renonce à elle, qu’il lui nuit ? D’ailleurs, enfants comme adultes, ont l’aptitude à écrire ce genre de texte mineur ; il suffit de mettre bout à bout des noms communs, des verbes, des déterminants et des conjonctions, etc., et le tour est joué ; voilà notre « poème » prêt pour la parade ! Des vocables créés de toutes pièces sans respecter une certaine logique, une certaine étymologie ne font qu’alourdir la litanie. Chaque mot a une signification précise servant à désigner, à nommer, à apporter son patrimoine au monde des lecteurs ; on peut aussi dire qu’il possède une saveur, un goût, une lumière ; il contient son propre alcool, qui nous enivre ou nous laisse indifférent. Il suffit de dire : fleur, mère, secret, maison, pour avoir une connaissance immédiate du mot, pour savoir son poids, ses dimensions, sa fonction, pour en délimiter le champ d’action. Les mots de base de notre langue ont été créés il y a des siècles ; avec eux, de multiples assemblages signifiants ont vu le jour, assemblages grâce auxquels les hommes ont appris à organiser la pensée, à la structurer et à la transmettre. Si des individus suffisants, pour paraître, déstructurent, brisent ou blessent la langue, elle est intransmissible et la pensée s’arrête de produire ce que l’on peut nommer la littérature, la philosophie, etc. Je ne nie pas que des expériences sur le langage aient pu être tentées ou le sont encore, dans la sphère personnelle ou au sein d’un cercle restreint ; mais ce qui doit être transmis en tant que « littérature » communicante ne peut appartenir qu’au domaine du compréhensible pour tous. Même s’il appartient à un domaine spécialisé, un texte doit au moins pouvoir être lu par un profane. Si ce n’est pas le cas, il ne sert pas la cause de la matière qu’il est censé défendre.

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commentaires

A
La révolte te fait rebondir... Mais tout est dit avec douceur et respect des mots que tu sais très bien "manipuler" avec délectation. Je reviendrai le lire pour bien m'imprégner de tes pensées. DD
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