Le rêve est une réalité - Longtemps j'ai rêvé de bonne heure... Nous nous prenons à l'espèce de jeu qui consiste à fabriquer le rêve dans l'espoir que notre avenir prenne les formes, l'espace et les orientations rêvés. Pourtant, vagabonder ainsi - car rêver signifie étymologiquement « vagabonder » -- ne sert qu'à planter des jalons là où nous voudrions qu'ils soient, là où notre désir profond élève les amers. La pseudo faculté de rêver n'est pas l'apanage des poètes que la petite critique place définitivement dans la catégorie des « doux rêveurs ». Chaque créature de ce monde rêve, c'est-à-dire qu'elle est en mesure de produire du rêve ; chaque être se construit un édifice mental - ou un paysage, ou un personnage, etc. - différent de celui qu'il occupe d'ordinaire. Dans l'esprit de celui qui le rêve, cet édifice, par exemple, obtient un certificat d'authenticité, une attestation de réalité. La vérité de la construction s'anime parmi les paysages et les formes réels et ordonnés que le regard perçoit dans la lunette avant de son horizon. Sa vérité atteint « ... Cette plus haute forme de la connaissance : le rêve, l'adoration du silence ». (1) Ce parcours mental permet en effet aux marcheurs « intérieurs » de porter leur méditation à un haut degré de connaissance.
Autrefois je pensais que les plans du rêve donnaient accès à un monde parallèle dans lequel il ferait bon vivre et organiser la destitution de l'ici médiocre. Je me suis vite rendu compte que le trajet à accomplir pour parvenir à l'ailleurs ne conduisait qu'aux illusions et que le rêve, en somme, n'intervenait dans la grisaille ambiante que pour donner à celle-ci un caractère et un relief qui la recouvraient sans jamais l'anéantir. A ce moment là, je sus que le prétendu rêve naissant n'était qu'une sorte
d'ampoule du réel, un surgeon de la réalité, et que ses racines couraient dans le même limon que toute chose en ce monde qui donne sens à la vie. « Un être humain ne pourrait pas vivre dans un monde sans mémoire et sans rêve. Prisonnier du présent, il ne pourrait pas donner sens. ». (2) Le rêve n'est donc limité qu'à cela. Réel et rêve s'imbriquent l'un dans l'autre, et le poète ne rêve pas davantage que le paléontologue ou que le dermatologue. Le rêve « donne sens ».
Le véritable rêve serait, sans doute, celui qui permettrait d'avoir accès, au moins un temps, à un monde parallèle, non relié au nôtre, un monde dans lequel une sorte de voyage cosmique totalement indépendant de la réalité serait possible, avec l'accord tacite du corps inerte, demeurant feuille morte le temps du voyage. L'Homme ne rêve que le vrai, et le vrai ne fabrique que son rêve à l'échelle humaine que le temps et l'espace lui donnent. Notre rêve terre à terre a les mêmes particularités génétiques que le réel et « ... le réel [est] une des virtualités du rêve ». (3)
1- Christian BOBIN - Le huitième jour de la semaine.
2- Boris CYRULNIK - Parler d'amour au bord du gouffre.
3- Jorge Luis BORGES - L'auteur et autres textes.
Bonne semaine, fidèles amis lecteurs. Étienne.